THERMOGRAPHIE DU PAVILLON DE L'OREILLE
Depuis de nombreuses années, le G.L.E.M., dans le cadre de ses statuts, suscite ou conduit lui-même des travaux dans le but d’apporter des bases scientifiques solides à l’auriculothérapie et l’auriculomédecine.
Parmi ces travaux, une longue étude (elle a en effet duré plus de 6 années) a été conduite et menée à son terme par le Dr Michel Marignan. Ce travail, débuté dans les années 1995, a étudié la réactivité du pavillon de l'oreille et a été soutenu par une équipe multidisciplinaire constituée pour la circonstance, qui a travaillé au moyen d'un équipement de thermographie de recherche, conçu et implanté au CNRS de Marseille, en étroite collaboration avec la faculté des sciences.
Le but premier était de savoir si la thermogénèse auriculaire était stable ou au contraire réactive, comme nous le supposions, à des variations physiologiques, et si oui comment. Nous ne présentons ici que quelques résultats, ceux-cis ayant été largement expliqués et développés au cours des différents symposia internationaux, dont les compte-rendus sont accessibles aux membres du Glem.
Le principe est de mesurer, à l’aide d’une caméra infrarouge à azote liquide de haute précision et rapidité couplée à un ordinateur spécialement adapté (une prouesse à l'époque où les PC étaient encore sous DOS et les programmes sous Pascal UCSD) les variations de température de radiation de l’oreille humaine, en réponse à diverses stimulations, générées localement ou à distance du pavillon de l’oreille.
En effet, nous pensions à l'époque (ce qui a été ensuite confirmé par les travaux sur le complexe neuro-vasculaire) que le "point" d’auriculothérapie était probablement une structure microscopique de régulation thermique (entre autres fonctions) capable de réagir par émission de photons à de nombreuses variations physiologiques ou pathologiques, de cause interne ou externe.
La mise en évidence d’une correspondance entre la nature de cette variation ou sa localisation anatomique et la réaction thermique auriculaire éventuellement mesurée jettent l'une des bases scientifiques fondamentales de l’auriculothérapie.
INTRODUCTION
Le but du travail effectué a donc été de mettre en évidence, sur le pavillon de l’oreille, des variations thermiques localisées ou généralisées en réponse à diverses stimulations effectuées expérimentalement sur le corps, sur l’oreille elle-même, ou en réponse à certaines circonstances physiologiques.
La plupart des stimulations sont semblables à celles que l’on utilise tous les jours en pratique de cabinet spécialisé dans l'approche micro-séméiologique du pavillon de l'oreille. En effet, une telle constatation permet d’étayer l’hypothèse d’une correspondance entre l’activité thermique (et donc neurologique car toute activité nerveuse se traduit in fine par un dégagement thermique) des points d’auriculothérapie et diverses perturbations somatiques, physiologiques ou pathologiques, bases du diagnostic et du traitement auriculaires, puisque l'auriculothérapie prétend traiter des points de l'oreille liés plus spécifiquement, de façon complexe, à un organe ou une fonction physiologique.
Le choix de la méthode dite "téléthermographique" repose sur l’évidence que le point d’auriculothérapie, dont l’existence est histologiquement prouvée, possède obligatoirement une fonction physiologique. Hors les différentes études portant sur la structure anatomique du point d’auriculothérapie orientent vers une fonction de thermorégulation. Il était donc légitime de penser que la variation éventuelle de leur activité devait se faire par dégagement ou absorption de chaleur. C’est ce dégagement ou cette absorption de chaleur que nous sommes arrivés à mettre en évidence.
MATERIEL ET METHODES
Nous avons utilisé pour ce travail un matériel unique conçu et fabriqué en France, au Centre National de la Recherche Scientifique, constitué par une caméra de téléthermométrie réfrigérée à l’azote liquide, de marque AGA à objectif de quartz, couplée à un ordinateur qui en recueille les données.
Cette caméra très spéciale est positionnée face à l’oreille gauche du sujet, lequel est allongé sur le dos. L’ordinateur de recueil des données collecte également l’image vidéo réelle, fournie par une deuxième caméra travaillant dans le domaine visible, ainsi que les signaux de synchronisation en provenance des stimulations somatiques sensées provoquer la variation thermique recherchée.
Cette technique, déjà décrite dans le cadre d'une application de posturologie (Neurostab) et publiée dans le revue ITBM (Innovation et Technologie en Biologie et Médecine, Volume 15, N°2, 1994) a été également largement détaillée au cours du 1er Symposium International d’Auriculothérapie et d’Auriculomédecine, à Lyon en 1994.
L’ensemble du banc de mesure est situé dans une enceinte thermostatée partiellement enterrée et toutes les manipulations se font à distance du sujet examiné, dans une enceinte elle-même confinée thermiquement.
Les précautions maximales sont ainsi prises pour ne pas perturber la thermique du sujet examiné.
PROTOCOLE EXPERIMENTAL
Nous avons ainsi mesuré au Laboratoire de Mécanique et Acoustique de Marseille 34 sujets dans différentes circonstances ; au repos tout d’abord, puis yeux fermés et yeux ouverts, puis en les soumettant à différentes stimulations périphériques somatiques ou sur le pavillon de l’oreille lui-même. On a recherché en même temps sur l’oreille une réaction thermique simultanée.
Je vous présente plus loin les réactions thermiques de l’oreille lorsque celle-ci est soumise à un choc thermique (éclair de flash), quand le sujet ouvre les yeux (variation de rythme cérébral), enfin quand le bras ipsilatéral du sujet est mis en présence d’un corps chauffé à la limite de la douleur. Toutes ces réactions sont spécifiques, différentes et fort intéressantes.
RECUEIL ET EXPLOITATION DES DONNEES
Les données recueillies par le système informatique sont constituées de séquences d’enregistrement ininterrompues dont chacune correspond, pour un sujet donné, à une expérience donnée.
L’instant de la stimulation ou d’un changement physiologique est repéré dans la séquence. Chaque séquence est constituée d’une certaine série de valeurs numériques représentant la température vraie de chaque point de l’oreille selon une matrice de nombres codés sur 4096 valeurs possibles, organisée en 256 lignes de 180 colonnes (soit 46080 valeurs de température), avec une précision inférieure à 1/10ème de degré, différentes valeurs annexes (temps, température de référence de l’azote liquide, etc.), les valeurs des voies logiques délivrées par les stimulations, l’image vidéographique numérique du pavillon de l’oreille délivrée par la caméra travaillant dans le domaine visible et servant au repérage.
Chacun de ces groupes de valeurs numériques ainsi défini est espacé des précédents et des suivants de 1/6ème de seconde, constituant ainsi un véritable film numérique de l’expérience.
Par reconstitution numérique et en affectant à chaque valeur de température une fausse couleur, il est possible de représenter chaque image de l’expérience et donc le film représentant le pavillon de l’oreille et ses variations de couleurs (lesquelles traduisent les variations thermiques éventuelles en chaque point).
Voici par exemple une image de radiation thermique d’une oreille reconstituée en fausses couleurs.
Le problème posé en fait par l’exploitation des données consiste à reconnaître si possible sur les séquences thermiques, des accidents de température localisés en correspondance avec les variations physiologiques et/ou les stimulations délivrées.
Pour cela, dans un premier temps, les images sont filtrées au moyen d'un algorithme d'interpolation afin de réduire au maximum les divers bruits présents (fonctionnement de la caméra, bruit quantique dû au système optique, bruit d’échantillonnage).
Les séquences subissent ensuite un deuxième traitement consistant à éliminer, par algorithme de recalage en translation et en rotation, les micro mouvements du sujet. La mise au point de ces traitements mathématiques nous a pris beaucoup de temps et de développement, car nous voulions conserver au système le maximum de précision sans pour autant induire de fausse réaction.
Enfin, il est recherché dans chaque zone une variation thermique, que celle-ci soit un échauffement ou un refroidissement.
Pour cela chaque image est maillée selon un réseau de petites zones rectangulaires, de taille ajustable. Puis, à l’intérieur de chacune de ces mailles, on calcule la moyenne mathématique et la racine de l’écart quadratique moyen. Enfin, on compare l’évolution des températures moyennes et la racine carrée de l’écart quadratique moyen sur toutes les zones du maillage d’une séquence d’images.
LES RESULTATS
Nous ne présenterons pas ici de travail exhaustif, mais seulement quelques exemples qui nous ont parus intéressants.
I - REACTION DU PAVILLON DE L’OREILLE A UN CHOC THERMIQUE (FLASH ELECTRONIQUE)
Quand le pavillon de l’oreille est soumis à un choc thermique, dans notre cas un éclair de flash, la majorité des points de l’oreille montent brutalement en température (ce qui est tout à fait logique et prédictible) puis redescendent mais continuent à fluctuer, selon un mode amorti. Cette fluctuation témoignerait en fait déjà d’une régulation thermique active.
Par contre, paradoxalement, certains points de l’oreille réagissent, au contraire, au choc thermique par une chute de température, ce qui se voit très bien sur les courbes ci-dessous (flèche rouge).
En voici quelques autres exemples, représentés à l’aide d’une technique qui nous permet de reconstituer séparément les zones de réchauffement des zones de refroidissement, chez 5 de nos sujets.
En ce qui concerne les zones qui montent en température, seul les cheveux ont une course de température appréciable, l’oreille ne monte pratiquement pas en température.
Mais paradoxalement, d’autres zones refroidissent au lieu de chauffer au moment du choc thermique, comme nous l’avons déjà vu. La situation anatomique de cette zone est très fluctuante d’un individu à l’autre. Voici à nouveau les 5 sujets de tout à l’heure : comme on le voit, il peut s’agir d’une, de deux ou de trois zones. Comme nous l’avons dit, nous n’avons pas d’explication à cette réaction en dehors d’un processus de régulation, dont la modalité doit dépendre de nombreux facteurs.
II - EVOLUTION DE LA TEMPERATURE DU PAVILLON DE L’OREILLE A L’OUVERTURE DES YEUX APRES PERIODE D’OCCLUSION DES PAUPIERES DE DEUX MINUTES (SANS SOMMEIL).
Dans cette circonstance, dès l’ouverture des yeux, certaines zones montent en température, tandis que d’autres baissent en température. Ceci se voit très bien par une simple visualisation « en paquet » des différentes courbes de température de toute les zones maillées de la séquence thermographique, dès l’image numéro 6 qui correspond à l’ouverture des paupières.
Du point de vue de leur localisation, et après reconstruction tridimensionnelle, nous voyons que l’augmentation de température se situe dans la plupart des cas sur la bordure de l’hélix et sur le tragus, pouvant atteindre 3 degrés Celsius, ce qui nous semble considérable, tandis que la chute de température se situe dans la plupart des cas au milieu de la conque dans le prolongement de la racine de l’hélix.
III – REACTION DU PAVILLON DE L’OREILLE A UNE NOCICEPTION PERIPHERIQUE ( DOULEUR PROVOQUEE SUR LE BRAS HOMOLATERAL PAR UNE RESISTANCE CHAUFFANTE).
Dans cette expérience, une résistance est maintenue sur le bras du sujet dont la température monte progressivement pour atteindre un seuil proche de la douleur.
A l’instant de l’image 1 la résistance est froide, de l’image 2 à l’image 6 elle monte progressivement en température pour devenir presque douloureuse à l’image 6, puis l’alimentation étant coupée sa température décroît rapidement pour être à nouveau froide aux environ de l’image 10.Dans cette circonstance, on constate sur l’oreille des variations fort intéressantes. En effet, sur de nombreuses mesures, on constate qu’aux alentours de l’image 6 il existe en certaines zones, des creux de température, suivis de montées rapides en température.
Pour analyser plus finement la totalité des informations, nous avons reconstitué l’ensemble des variations thermiques dans le temps, en plus ou en moins, et les avons reporté par correspondance sur l’image de l’oreille. A noter avant tout qu’il y a un silence thermique complet en dehors de l’oreille, en particulier rien ne réagit sur la joue.
Il faut tout donc d’abord préciser qu’il y a dans cette expérimentation deux phases :
- Une première phase d’apparition progressive de la nociception : de l’image 2 à 6
- Une phase de disparition progressive de la nociception : de l’image 6 à l’image 10
Si l’on s’intéresse à la première phase, celle ci crée l’apparition :
- d’une zone froide dans l’hemi-conque inférieure
- de trois zones chaudes, situées chacune sur la projection d’un feuillet embryologique.
Si l’on s’intéresse à la deuxième phase, c’est exactement l’inverse qui se passe, c’est à dire que ce qui avait chauffé se refroidit, et inversement.
Quels sont ces mécanismes que l’on a envie de classer dans la catégorie des compensations et adaptations ?
Ce serait là un autre travail qui resterait à faire, mais le but de ce travail de téléthermographie à été atteint, c’est à dire que le pavillon de l’oreille humaine est bien le lieu de réactions particulières en réponse à des événements particuliers du corps, qu’ils soient physiologiques ou non.
Il paraît donc tout à fait concevable qu’un processus pathologique donné puisse être repérable au niveau du pavillon de l’oreille par cette technique. Dans l'avenir, si la réalisation de telles mesures s'affranchissait de sa lourdeur expérimentale, cette technique serait une aide qui permettrais de les localiser et de les quantifier, ce qui est un apport médical considérable.
Depuis ces travaux, des mesures par cartographie impédancemétrique ont été réalisées, et mises en application par une équipe russe de Novgorod. De telles mesures permettraient de détecter de fines variations d'impédance cutanée de l'oreille en réponse à des variations thermiques profondes des viscères, et seraient un critère de suspicion d'une zone inflammatoire ou pré-cancéreuse.
Ces travaux sont en cours et à suivre ....
Dr. Michel Marignan
Vice-président et directeur scientifique du Glem.
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